Dans le contexte sanglant de la Commune de Paris, le 26 mai 1871 seront tués 10 ecclésiastiques sur le lieu même de notre paroisse qui porte aujourd’hui en son nom la mémoire de ces otages.
père Henri Planchat
père Jean-Marie Sabatier
Paul Seigneret
Louise-Félicie Gimet
Père Henri Planchat, religieux de Saint-Vincent de Paul – Télécharger la fiche
Henri Planchat naît dans une famille très pieuse, dont le père est magistrat. Pendant ses études au collège de l’abbé Poiloup à Vaugirard, alors quartier périphérique en dehors de Paris, il fait la connaissance des conférences de Saint Vincent de Paul et découvre sa vocation. Il est ordonné prêtre le 21 décembre 1850. Il est accueilli en tant que premier prêtre au sein de la nouvelle congrégation des religieux de Saint Vincent de Paul qui ne comptait jusqu’alors que des frères.
Dès lors, il se dévoue aux populations des travailleurs pauvres de Grenelle et de Vaugirard qui se sont souvent éloignées de l’Église et se montrent parfois hostiles aux prêtres. Il se concentre sur l’apostolat et la formation des garçons du patronage, en continuant à visiter les malades et assister les pauvres. Son zèle provoque la susceptibilité du curé de la paroisse de Grenelle. Ses supérieurs pour calmer les choses l’envoient deux ans à Arras assister l’abbé Halluin qui dirige un orphelinat avec des ateliers d’apprentissage.
À partir de 1863, Henri Planchat dirige le patronage Sainte-Anne, dans le quartier de Charonne. Au début, résidant encore dans la communauté des frères rue de Grenelle, il y venait à pied chaque jour. Il finira par s’y établir. Ce sont tous les ans près de cinq cents jeunes garçons et apprentis qui y sont formés et reçoivent les sacrements de communion et de confession. Mais le P. Planchat étend son champ d’apostolat à d’autres quartiers populaires de Paris.
Lorsque la guerre de 1870 éclate, il porte aussi assistance aux soldats. Cependant les révoltés de la Commune de Paris ne peuvent que remarquer ce prêtre dont les œuvres sociales fondées sur le Christ, sont en contradiction avec leur propre idéal révolutionnaire. Il est arrêté le 6 avril 1871 et fusillé le 26 mai suivant au lieu même de notre future paroisse. Ses restes reposent à la chapelle des reliques de l’église Notre-Dame-de-la-Salette de Paris.
Paroles spirituelles
« L’obéissance est, à l’instar du sacrifice eucharistique, un vrai et perpétuel sacrifice » (Notes spirituelles, retraite d’automne 1864).
« Point de charité du prochain sans esprit d’oraison, comme il n’est point de volcan sans feu intérieur. Or, point d’esprit d’oraison sans exercice sérieux de la méditation » (Notes spirituelles, retraite de Pâques 1854).
« La dévotion à ce Cœur adorable résume toutes les dévotions relatives aux mystères et à l’amour de Jésus-Christ. C’est à la source, c’est au foyer qu’il faut remonter, pour éprouver toute la chaleur du céleste brasier. Nous avons besoin de la paix, d’un refuge invisible pour la trouver au milieu des agitations de nos œuvres. Nous n’aurons jamais ce repos de l’âme que dans le Cœur de Jésus. Il faut à nos efforts, vraiment imperceptibles au milieu de l’agitation du monde, une efficacité particulière pour consoler et pour sauver les âmes les plus abandonnées. Cette efficacité découle directement du Cœur de Jésus » (Lettre n°8 à sa mère, 24/12/1849).
Paul Seigneret, séminariste du diocèse de Paris – Télécharger la fiche
Paul Seigneret est né à Angers, le 23 décembre 1845. Il y vécut une enfance heureuse dans une famille unie et aimante. Au mois de mai 1861, âgé de quinze ans, il quitte Angers pour continuer ses études au lycée de Nancy. Pendant ces années remplies par le travail, et dans ce milieu si peu favorable du lycée, germèrent en son âme ces désirs de la vie sacerdotale qui allèrent toujours grandissant jusqu’à sa dernière heure. Sa vie de prière est alors déjà très riche. Il écrit ainsi à ses parents « Souvent le bon Dieu me fait la grâce de me réveiller pendant la nuit ; tout est silencieux, tout dort autour de moi. Oh ! qu’alors mon cœur s’élève facilement à Lui ! Je le prie, en regardant les étoiles qui brillent à ma fenêtre. » Après ses études, vers la fin de septembre 1864, Paul est quelques temps précepteur dans une famille aristocratique au château du Dréneuc, en Bretagne. A cette époque son amour pour Dieu grandit jusqu’à devenir, selon la saisissante expression d’une de ses lettres, « un amour à tout rompre ». Sa mauvaise santé qui le poursuivra toute sa vie, lui fait penser alors qu’il serait sans doute mieux adapté à la vie monastique qu’au ministère de prêtre en paroisse. C’est vers l’abbaye bénédictine de Solesmes que le futur novice cherche la direction de sa vocation. Il résout donc d’y aller faire quelques jours de retraite, pendant la semaine sainte de l’année 1866. Après quelques péripéties il y entre finalement le 16 avril 1867. Cependant à mesure que, par ses études et la vie de prière du monastère, il connait et aime davantage la divine vérité, il sent croître en lui le désir de s’en faire l’apôtre. La soif de servir dans le monde est trop forte et il finit par quitter l’abbaye en juin 1868 pour entrer au séminaire Saint Sulpice. Un attrait secret le poussait vers Paris, où il voyait tant de bien à faire, et où il lui semblait que son zèle pour le salut des âmes trouverait à s’exercer.
Au séminaire, sa santé lui pose encore des problèmes. Malgré ses instances, il fut résolu qu’il prendrait, pendant un an, un repos absolument nécessaire ; et l’obéissance lui fit accepter ce remède. En 1870, pendant son congé forcé, la guerre contre la Prusse éclate. Dans les dernières semaines des combats, il a la joie de pouvoir se dévouer au soin des blessés dans les ambulances établies à Lons.
L’annonce de la réouverture du séminaire de Saint-Sulpice, fixée au 15 mars 1871, redonne un peu de joie à Paul. La retraite de rentrée du séminaire n’est point encore terminée, quand éclate l’insurrection du 18 mars qui débute la Commune. A la suite de l’incarcération subie par l’archevêque de Paris, un certain nombre de séminaristes de Saint Sulpice, dont Paul, sont arrêtés par les Communards le jeudi saint 1871 au soir. Ils s’étaient rendus à la préfecture pour obtenir un laisser-passer et quitter Paris. Après une période de prison durant laquelle il s’unit profondément au Christ, Paul Seigneret est finalement assassiné le 26 mai rue Haxo.
Paroles spirituelles
« Je vous avoue que depuis trois ans, sans que personne le sache, je sens constamment grandir en moi le désir d’être prêtre. Je sens grandir en moi l’amour de Dieu ; mon cœur se remplit de reconnaissance pour lui ; je veux me voiler à jamais à ce Dieu si bon, qui nous aime tant, qui est mort pour nous ; je veux lui consacrer ma vie, l’honorer un peu par mes faibles hommages, lui qui reçoit tant de mépris. Je veux me vouer au service du prochain, vivre pour les autres, ne m’occuper que de leurs intérêts et de leur salut. » Lettre à son père rédigée au lycée de Nancy
« Quand je considère ainsi l’ineffable bonté avec laquelle Dieu m’a traité, je voudrais avoir cent vies pour les consacrer l’une après l’autre à l’aimer sur la terre, avant d’oser envier le bonheur de l’aimer dans le ciel. » Lettre rédigée après sa retraite à Solesmes
« Je vis toute la journée plongé dans ma Bible, en présence de l’Éternelle Beauté, qui, Dieu merci, m’a ravi pour jamais. » Lettre rédigée en prison
« Pour nous, la Commune, sans qu’elle s’en doute, nous a fait tressaillir d’espérance avec ses menaces. Serait-il donc possible qu’au commencement seulement de notre vie, Dieu nous tint quittes du reste, et que nous fussions jugés dignes de lui rendre ce témoignage du sang, plus fécond que l’emploi de mille vies ! Heureux le jour où nous verrons ces choses, si jamais elles nous arrivent ! Je n’y puis penser sans larmes dans les yeux ! » Lettre rédigée en prison
Père Jean-Marie Sabatier, prêtre du diocèse de Paris – Télécharger la fiche
Le père Jean-Marie Sabatier a été baptisé le 20 août 1820 en l’église paroissiale de Chastel-Marlhac dans le Cantal. Très tôt il manifeste le désir d’être prêtre. Mais dans la France de cette époque, les études nécessaires au presbytérat étaient à la charge des familles et duraient de longues années. Ses parents sont réticents et il doit patienter. La solution vient de Paris. Un prêtre apparenté à la famille Barrier-Sabatier, l’abbé Deshouilère, est mis au courant de la situation et prend le jeune Jean-Marie sous son aile à Paris. Pendant deux ans l’abbé Deshouilère s’efforcera de donner à son élève les bases nécessaires pour son entrée dans la formation au sacerdoce. Il est ensuite accueilli comme étudiant ecclésiastique auprès de l’évêque de Beauvais, Mgr Ginioux. Le 27 mai 1847 il est toutefois ordonné prêtre pour le diocèse de Paris car, durant ses études, il avait été présenté à l’archevêque de Paris, Mgr Affre, originaire de l’Aveyron, qui avait finalement voulu le garder au service de son diocèse. Il est d’abord nommé vicaire à Choisy-le-Roi jusqu’en 1855. Un an à peine après son ordination, Mgr Affre son protecteur, meurt sur les barricades des faubourgs durant les événements de 1848.
En 1855, le père Sabatier arrive comme vicaire à l’importante paroisse Notre-Dame de Lorette. C’est à cette mission que les troubles de la Commune viendront le trouver. Au cours de la Commune (18 mars-28 mai 1871) une violente haine anticatholique se déchaîna. De nombreuses églises furent fermées puis transformées en clubs politiques, ou tout simplement vandalisées. A Notre Dame des Victoires, par exemple, on viola des sépultures, notamment celle du célèbre musicien Lulli. Sur le parvis on installa des ossements avec des inscriptions : « victimes du clergé. » A la cathédrale Notre Dame, on essaya de mettre le feu à l’édifice le 26 mai, le jour même du martyre des otages rue Haxo.
Le 12 avril 1871 le père Sabatier est arrêté, malgré l’opposition de tout un groupe d’enfants qui criaient de toutes leurs forces contre ceux qui voulaient emmener leur vicaire. Il est écroué au Dépôt de la Préfecture, puis à la prison de Mazas, pour être finalement transféré à la Roquette le 22 mai, en compagnie des autres condamnés. Le 26 mai, il est massacré rue Haxo. Après ces événements, un médecin constate que le père Sabatier a reçu huit balles ; que sa mâchoire inférieure est brisée, que le crâne a éclaté et les membres ont été brisés en plusieurs endroits. Le 15 juin un office funèbre est célébré à Notre-Dame de Lorette, au milieu des enfants de la paroisse pleurant leur aumônier. Le père Sabatier est enterré dans son église de baptême, dans le Cantal.
Paroles spirituelles
Nous n’avons gardé la trace d’aucun écrit du père Sabatier. Nous avons donc rapporté des lettres du père Caubert, jésuite, mort avec lui rue Haxo. Elles furent rédigées en mai 1871 dans la prison de Mazas. Elles reflètent bien l’état d’esprit de nos otages.
Vous me demandez quelques bonnes paroles qui relèvent l’âme. Je souhaite que le bon Dieu vous donne les dispositions qu’il m’accorde en ce moment. Je vis au jour le jour, sans inquiétude, plein de confiance, très heureux d’accomplir ce que Dieu me demande, avec un abandon complet entre ses mains pour l’avenir, et disposé à ne rien lui refuser. Je me remets souvent devant les yeux ma vocation, qui est de prier et de souffrir pour le salut des âmes, et j’implore les bénédictions de Dieu sur Paris et sur la France.
Le soutien intérieur est un don de Dieu, et cela n’empêche pas la nature de sentir quelquefois qu’elle aimerait mieux ne pas se trouver entre quatre murs. Aussi ces défaillances servent à me faire comprendre que mon courage n’est pas de moi, et que je dois en remercier Dieu, l’auteur de tout don et de tout bien. Ce qui sert beaucoup à relever l’âme dans les épreuves, c’est de penser souvent à l’amour de Dieu pour nous : que de témoignages on en trouve, quand on rentre en soi-même !
Si on n’était pas captif, peut-être (je parle pour moi) on oublierait trop facilement que la charité nous demande d’avoir compassion des pauvres pécheurs et d’offrir quelques sacrifices à leur intention. Et puis le prêtre n’est-il pas l’ami de Dieu, et, à ce titre, ne doit-il pas se dévouer pour obtenir la réconciliation de ses frères avec Dieu, le Père de tous, Père si plein de bonté et si porté à l’indulgence, quand surtout il se voit comme importuné par la prière d’un ami ?
Louise-Félicie Gimet, religieuse – Télécharger la fiche
Louise-Félicie Gimet (plus connue sous son second prénom) est née le 1 er mai 1835. Elle quitte la maison paternelle fort jeune et mène une vie de bohème. Désormais hostile à la foi de son enfance, elle poursuit de sa haine le « parti des prêtres. » Par une étrange contradiction, elle garde toutefois un respect instinctif envers la Sainte Vierge. Lors d’un passage devant la basilique de Fourvière à Lyon en 1859, elle rencontre une foule attroupée autour du saint Curé d’Ars, J.-M. Vianney. Apercevant cette fille aux allures provocantes : « Malheur à vous, s’écrie-t-il, vous ferez beaucoup de mal ! » Toutefois, il ajoute : « Mais Notre Seigneur, dans sa miséricorde, aura pitié de vous. Vous vous convertirez grâce à cette dévotion que vous conservez pour sa divine Mère. » À la fin de la guerre de 1870, Félicie vient s’enrôler parmi les Communards. Elle se fait appeler « capitaine Pigerre ».
Au cours de la tuerie des Otages, rue Haxo le 26 mai 1871, des « cantinières » excitent les badauds. L’une d’elle surtout est évoquée par la plupart des récits : une fille affublée d’une écharpe rouge et d’un képi, les cheveux retenus par un filet blanc. C’est peut-être elle qui, pour mettre fin aux hésitations des membres de la Commune, hurle : « Pas de pitié pour les Versaillais ! tous des assassins, calotins ou gendarmes ! » Et, faisant feu, elle déclenche l’horrible massacre. Elle avouera par la suite aux religieuses qui l’ont recueillie que c’est bien elle qui a débuté le carnage. Elle précisera même avoir tiré sur treize prêtres en deux jours. Elle témoignera plus tard, dans une lettre, que, durant le séjour des Otages à la prison de la Roquette, une force mystérieuse l’attirait intérieurement vers le Père Olivaint. Elle voulait le faire souffrir et, malgré tout, chaque fois qu’elle le voyait, elle se disait qu’elle persécutait un saint. « Le bon Père disait des choses qui remuaient profondément notre personne. » Elle relate aussi son dernier dialogue avec le jésuite : « — Est-ce que vous savez la nouvelle que je vais vous apprendre ?
— Je ne sais quelle nouvelle ; mais je suis content de souffrir pour Dieu.
— Je viens vous annoncer votre libération.
— Non ! (je n’y crois pas). Je ne pourrai plus travailler à la conversion des pécheurs, mais je prierai pour vous. Je ne sortirai plus de ma cellule que pour aller au Ciel.
— Eh bien puisque je vous procure la couronne du martyre, je pense que vous me garderez une place au Ciel.
— Je n’y manquerai pas. » Quelques semaines plus tard « Gimet-Pigerre » se trouve incarcérée à Saint-Lazare, sous la surveillance des Sœurs des prisons, particulièrement de la supérieure, Mère Éléonore, soucieuse de ramener cette âme à Dieu. Félicie finit par lui déclarer : « Si je sors vivante des mains de la justice, je me convertirai ». Or aucune femme ne fut exécutée, et l’on manqua de preuves contre Félicie. Revenue auprès des religieuses comme « fille repentie, » elle demande à Mère Éléonore de l’aider à s’amender. C’est alors que la supérieure a l’inspiration de confier la conversion de la meurtrière à sa victime la plus notoire : elle lui fait lire le Journal intime d’Olivaint. A travers les notes spirituelles de ce saint religieux, la grâce touche le cœur de Félicie. Se rendant au tombeau du P. Olivaint, rue de Sèvres, elle est subitement guérie d’un mal au genou qui semblait incurable. Elle finit par livrer à Mère Éléonore le texte du « pacte » qu’elle avait signé avec le démon avant la Commune. Les dures épreuves qu’elle endure apparaissent comme une vengeance diabolique : parfois on entend dans sa cellule un vacarme infernal, et même une fois on la trouve projetée à terre, le visage ensanglanté et des dents cassées.
De Paris, la repentie est envoyée à Doullens, où les mêmes faits étranges se reproduisent. Mère Éléonore est nommée à Montpellier où sa protégée vient l’y rejoindre, en 1888. C’est désormais une personne exemplaire, aussi laborieuse que pieuse, qui se dévoue avec patience et douceur au chevet des malades. Si bien qu’on finit, en 1890, par l’admettre parmi les « Filles de Marie ». Elle prend le nom de Marie-Éléonore. D’après la règle, personne ne doit chercher à connaître leur vie antérieure, et la supérieure gardera le secret jusqu’à la mort de Félicie. Néanmoins des incidents furtifs soulèvent un coin du voile qui recouvre le terrible passé. Un jour qu’on lit, durant le travail en commun, les épisodes de la mort de Mgr Darboy dont elle fut une protagoniste, Félicie devient livide et manque de s’évanouir. À l’une de ses compagnes qui tente de la consoler, elle murmure : « Si vous saviez tout, je vous ferais horreur et vous auriez peur de moi » !
Le 8 septembre 1893, Félicie Gimet est frappée de paralysie, tout en gardant sa lucidité. Toujours à son chevet, Mère Éléonore lui demande : « N’avez-vous aucune crainte ? » Rassemblant ses forces, Félicie parvient à articuler : « Je me suis jetée tout entière entre les bras du Bon Dieu. Pourquoi aurais-je peur ?» Elle expire le 12 septembre.